« C’est quoi la vie ?» à la lumière des sciences modernes


Dans l’article Du sentiment de peur au désir de vivre, on concluait, à la lumière de Spinoza, que pour sortir de nos peurs (du changement climatique, de l’effondrement de la biodiversité, de la montée des discours haineux et des conflits armés, de la croissance des inégalités, des différentes formes de déclassement social,…), pour modifier en profondeur nos modes de vie, pour sortir de nos enfermements économique, culturel et politique, il nous fallait réanimer notre désir de vivre. On rappelait aussi que le désir de vivre, comme tout désir, mobilise la totalité de notre être (esprit et corps), c’est à dire nos capacités à la fois de raisonner et d’être en résonance par nos cinq sens avec nos milieux de vie matériel et immatériel (symbolique, imaginaire, culturel, spirituel, …). Plus fondamentalement, pour réanimer notre désir de vivre, il nous faut changer nos visions du monde et notre manière d’être au monde1. Par rapport à cette quête existentielle, il est judicieux de remarquer que dans plusieurs disciplines scientifiques (biologie, astrophysique, neurosciences, anthropologie, éthologie,…) de nouveaux courants de pensée permettent d’apporter de nouvelles réponses au questionnement « c’est quoi vivre ? »2. Ces nouvelles connaissances scientifiques nous offrent l’opportunité d’imaginer d’autres manières d’être au monde, d’être en résonance et de vibrer d’une manière plus intense avec nos différents milieux de vie, c’est-à-dire de réanimer notre désir de vivre.

L’Univers est à l’intérieur de nous

Éveiller nos consciences à la magie de l’univers, c’est l’objectif que plusieurs astrophysiciens se sont donnés. On se souvient de la proposition d’Hubert Reeves : « nous sommes tous de la poussière d’étoiles ». Pour Trinh Xuan Thuan, « la cosmologie moderne a réenchanté le monde, en redécouvrant l’ancienne alliance entre l’homme et le cosmos ». Nos atomes d’hydrogène ont été fabriqués en moins de trois minutes, lors du big bang initial qui a eu lieu il y a 13,5 milliards d’années. Tous les autres atomes qui composent le corps humain, tels l’oxygène, le carbone, le calcium, le magnésium, etc.,  sont nés, soit de la fusion nucléaire au cœur des étoiles, soit dans les supernovae, explosions géantes résultant de la mort des étoiles massives . « Ainsi, les étoiles sont nos lointains ancêtres et nous partageons tous la même généalogie cosmique. Nous sommes les frères des lions de savane et les cousins des coquelicots des champs »3.

L’histoire de la vie est à l’intérieur de nous

Jean François Dortier, fondateur de la revue Sciences Humaines et de la revue Humanologue, en mobilisant les connaissances de l’astrophysique et de la biologie nous rappelle que : « Notre corps est composé de 65% d’eau. Cette eau vient des rivières, des lacs, des océans. Mais toute l’eau sur terre s’est formée aussi dans l’espace. Au fil du temps, c’est une pluie de météorites glacées qui ont formé les océans et les mers »4. Et de rajouter : « La vie est née dans l’océan. Et pendant trois milliards d’années, elle y est restée. Puis les premiers organismes (des bactéries), des plantes, puis des animaux sont sortis des mers et ont colonisé la Terre. Nous autres, animaux terrestres, croyons avoir quitté notre océan primordial il y a bien longtemps. C’est faux. Nous restons des animaux marins. A la seule différence que nous transportons l’océan en nous ».

La symbiose, principal processus d’innovation du monde vivant

Dans son livre Jamais seul, ces microbes qui construisent les plantes, les animaux et les civilisations, le biologiste Marc André Selosse nous invite à découvrir que les symbioses microbiennes – qui ont émergé tardivement dans la biologie moderne- « envahissent aujourd’hui notre vision du vivant ». Cet ouvrage décrit comment les animaux (et donc les humains), mais aussi les plantes, sont intimement construits par les micro-organismes (des bactéries, des micro-champignons, des levures) qui les habitent, et les aident à accomplir des fonctions variées et souvent vitales.

La symbiose au sens large, c’est-à-dire vivre ensemble, est le principal processus d’innovation dans le monde vivant. Par exemple, la formation des cellules des plantes et des animaux (et donc les nôtres) qui constitue « une découverte majeure de la biologie moderne », est le résultat d’un processus de symbiose entre plusieurs bactéries qui sont devenues à l’intérieur de nos cellules des composants vitaux pour la respiration et la photosynthèse.

Vivre,  c’est inter-agir avec son milieu

S’appuyant sur les connaissances de la biologie et des neurosciences, le philosophe et anthropologue François Flahaut5 propose de considérer l’écologie, comme une avancée scientifique qui consiste à penser le vivant avec ce qui le fait vivre, à penser l’organisme et  son biotope. Et de préciser : « Nous voyons bien que nous dépendons de la nourriture que nous mangeons, de l’air que nous respirons, l’alternance du jour et de la nuit : l’écologie physique ; il nous est cependant plus difficile de prendre conscience de l’écologie psychique dont nous dépendons. Pour passer de l’ontologie substantialiste6 à une ontologie relationnelle, il nous faut intégrer et assumer le fait que nous dépendons de toutes sortes d’aléas qui ne dépendent pas de nous. On croyait pouvoir maîtriser et voilà qu’il nous « faut faire avec »7. L’homme, en son activité psychique, est lui aussi soumis à la propension à vivre qui anime tous les vivants et aux contraintes de son environnement : « notre je est le fruit d’une symbiose complexe entre biologie, société et culture ». Il est urgent d’abandonner notre conception occidentale de l’individu :  un être autonome, auto-existant, indépendant. En concevant le sujet humain comme un être relationnel, qui déploie son désir d’exister en étant affecté par ce qui l’entoure. F. Flahault nous propose « une image nouvelle de ce que nous sommes ».

La science moderne, la science en train de se faire, qui relève principalement de la raison, nous offre l’opportunité de construire de nouveaux imaginaires, de nouvelles images de ce que nous sommes, et de pouvoir ainsi augmenter notre capacité d’entrer en résonance avec nos différents milieux de vie. On rejoint ainsi par la science une caractéristique universelle des êtres humains que d’autres civilisations ont expérimenté par intuition, à partir de leurs relations symbiotiques avec le tout existant. Selon le philosophe camerounais Achille Mbembé « dans les systèmes africains de pensée, le propre du vivant était son indétermination, c’est-à-dire sa capacité de prolifération, de métamorphose permanente et de résonance avec tout l’existant ou encore les forces du cosmos »8. Dans son livre, Devenir vivants, la philosophe Kodjo-Grandvaux nous avertit qu’il ne suffit pas de se représenter le monde, encore faut-il l’éprouver pour le connaître. « L’individu moderne rationnel, doit réapprendre à laisser parler son corps et ne plus être uniquement dans un rapport d’extériorité aux choses pour renouer avec l’émotion et l’intuition, cette intelligence qui comprend le monde ». Et de préciser, étymologiquement comprendre c’est « saisir ensemble », c’est en d’autres termes être en relation symbiotique, en résonance avec le tout existant.


  1. Jacques Perrin, Peut-on changer notre vision du monde ? Librinova, 2021. ↩︎
  2. On ne traitera dans cet article que de quelques exemples. ↩︎
  3. Trinh Xuan Thua, Face à l’Univers, Editions Autrement, 2015. ↩︎
  4. Jean François Dortier, “L’univers est en nous”, L’Humanologue, septembre 2021, pp. 95-96 ↩︎
  5. François Flahault, L’homme une espèce déboussolée, Anthropologie générale à l’âge de l’écologie, Fayard 2018. ↩︎
  6. Ontologie : philosophie de l’être, s’interroge sur qu’est-ce que l’être ? Descartes, avec sa version sécularisée de l’âme comme « substance » pensante, est l’un des plus grands représentants de l’ontologie classique. ↩︎
  7. François Flahault, op. cit., p. 43. ↩︎
  8. Achille Mbembe, “Réinventer la démocratie à partir du vivant”, Le Monde, 13 août 2019. ↩︎


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