Le statut de la loi 1901, contrairement aux croyances, n’implique nullement un fonctionnement démocratique (un humain = une voix). La tradition, les habitudes, les volontés de partager les décisions ont inscrit ce fonctionnement dit démocratique dans les statuts types diffusés par les préfectures. Il faut préciser « dit » démocratique car de nombreux statuts d’associations, s’ils inscrivent des modalités de fonctionnement démocratique (élection par l’assemblée des adhérents du conseil d’administration, du bureau, du président, directement ou par votes successifs), donnent également du pouvoir de décision et d’action à des membres d’honneur, des membres de droit, la prépondérance pour les décisions au plus âgé des élus, etc. La loi, par ailleurs, limitait jusque récemment l’élection de mineurs dans les conseils d’administration des associations. Enfin, autre limitation au fonctionnement démocratique, et comme dans toute la société, la valorisation du masculin dans les instances.
Au-delà de ces questions statutaires et de ces habitudes, de nombreuses associations tentent depuis quelques années d’inventer des fonctionnements différents de la responsabilité en inscrivant « un collectif » responsable : plusieurs présidents, refus d’attribuer des rôles de président, secrétaire et trésorier aux membres du bureau ou du conseil d’administration, doubler systématiquement chaque fonction, etc. La loi 1901, de son côté, n’oblige qu’à déclarer les noms et coordonnées d’un « responsable » même si des services préfectoraux résistent à enregistrer des statuts au fonctionnement non classique. Si les démarches inventives sont intéressantes, interrogent et renouvellent les fonctionnements, elles restent problématiques dans les relations à certains organismes (bancaires par exemple) et pour la fonction employeur dans le cadre des régulations nécessaires, voire des conflits, du travail salarié au sein des associations.
Le droit du travail et les conventions collectives prévoient – ou obligent selon le nombre de salariés – une représentation des salariés dans les instances de décision d’une association. Le règlement intérieur de l’association peut par ailleurs améliorer cette représentation. La loi 1901 ne prévoit rien pour la relation employeur / salarié, ce n’est pas son rôle. De fait, ce sont les services fiscaux qui induisent un rapport employeur / salarié dans le cadre de la définition du « à but non lucratif » dont le terme est, lui, précisé dans la loi 1901. En effet, il se comprend comme l’impossibilité pour toute personne et adhérent d’avoir un gain matériel ou financier dans le cadre de l’activité et des instances de l’association. En conséquence, un salarié ne peut siéger dans les instances au risque d’influencer les décisions en sa faveur pour sa rémunération ou ses avantages. Si les services fiscaux ne reconnaissent pas, ou plus, à une association le but non lucratif, l’association, comme toute entreprise, sera assujettie à la TVA et aux impôts des entreprises et se verra possiblement remise en cause dans le cadre des agréments ministériels, d’appels à projets ou d’appels d’offres. Dans les associations ne salariant qu’un nombre restreint de personnes, il est convenu que les salariés peuvent participer aux instances mais sans droit de vote. Dans ce cas, la participation est volontaire et le temps passé dans les instances n’est pas compris dans leur temps de travail contractuel. Ainsi, les salariés peuvent siéger (présence, écoute, participation aux débats) tout en respectant les lois. Cependant, il faut remarquer que, même dans ce cadre souple, ce sont souvent le/la directeur/trice qui participe aux instances, reproduisant ainsi un schéma hiérarchique de fonctionnement (mais possiblement fonctionnel). La volonté démocratique qui préside à la participation des salariés aux instances se heurte au concret quotidien d’une réunion : s’ils sont 20, 30 ou 40% des présents, même sans droit de vote, ils peuvent influencer fortement les débats, ce qui, hors appréciation des services fiscaux, pose la question du fonctionnement démocratique avec des salariés. Dans les associations, et peut-être plus fortement dans les « petites » associations de moins de 5 emplois, les salariés adhèrent aux objectifs et aux valeurs de l’association, ils sont engagés pour la réussite de ces objectifs : ce sont des salariés-militants, ou des militants salariés (le terme militant peut ici être remplacé par adhérent, engagé, défenseur, selon la conception de chacun). Pour la réussite des objectifs de l’association, ces salariés ne vont pas porter attention au nombre d’heures de travail, aux horaires, aux déplacements, aux efforts à réaliser mais vont s’adapter aux nécessités. Ils sont plus que salariés, ils sont aussi porteurs de l’association et, comme tout adhérent, doivent pouvoir participer en totalité à la vie de l’association. On voit ainsi la complexité du rapport employeur / salarié, adhérent / salarié, militant / salarié.
Cette complexité ne concerne pas le seul fonctionnement des instances mais l’ensemble de l’activité au quotidien, car les bénévoles ne sont pas seulement administrateurs dans les instances de décision de l’association, ce sont avant tout des adhérents qui participent aux activités, des bénévoles agissants. Salariés et bénévoles se côtoient et œuvrent ensemble tous les jours. Ainsi, un bénévole œuvrant à une tâche avec un salarié peut se trouver, à un moment de la journée, dans la position d’aider un salarié qui a organisé l’action, puis plus tard dans la position du co-employeur dans l’une des instances de l’association. Et, bien sûr, les rapports humains complexifient encore les relations : confiance, sympathie, amitié, réalisation d’actions en commun, etc. entraînent une multitude de possibles relationnels.
Bénévolat et salariat
Dans une association, bénévoles et salariés sont les doigts d’une même main : ils agissent ensemble dans une dynamique de complémentarité qui nécessite des ajustements permanents et des règles de fonctionnement. Tous sont au service du projet, des objectifs, des valeurs de l’association. Mais, peut-être, le salarié plus encore, puisque lui reçoit un salaire de l’activité de tous. Si cependant le salarié est plus encore que le bénévole « à disposition » du projet, il n’est pas à la disposition des bénévoles ; pas plus que les bénévoles ne sont à la disposition du salarié. Il s’agit bien d’inventer en permanence, en fonction des personnes, des activités et des situations, des rôles de complémentarité permettant à chacun d’agir avec son statut, son tempérament, ses compétences : un ajustement incessant requérant une grande souplesse. Les statuts de bénévole et de salarié sont d’ailleurs interchangeables : il est fréquent d’avoir été bénévole dans une association avant d’en devenir un salarié, de rester bénévole et plus encore administrateur après avoir été salarié. Mais aussi d’être salarié dans une association et bénévole dans une ou plusieurs autres.
syndicats et associations
Si la société civile comprend trois grandes forces sociales en principe indépendantes et alliées pour que vive une démocratie (les partis, les syndicats, les associations), les rapports entre syndicats et associations sont quasi inexistants voire conflictuels. Les syndicats d’employeurs associatifs se structurent, s’allient, fusionnent afin de constituer un jour une force représentative avec les représentants des coopératives et scop, fondations, mutuelles. Il s’agit d’instaurerun rapport de force avec des syndicats d’entreprises (MEDEF, CGPME, artisans, commerçants, etc.) qui veulent représenter l’ensemble du monde économique et se croient seuls légitimes alors que l’économie sociale et solidaire représente nationalement environ 10% de l’activité économique et 12% des emplois. Il existe donc une opposition d’intérêts et de conception du rôle de l’entreprise et de l’employeur entre les employeurs associatifs et de l’économie sociale et solidaire, d’une part, et les employeurs de l’économie classique, d’autre part. Mais du côté des syndicats de salariés, le regard sur les associations est méfiant sinon plus, dans leur difficulté à concevoir des rapports pluriels employeurs / salariés. Le droit du travail, les conventions collectives, les négociations sociales sont conçus dans un rapport de méfiance et de défense. Comment considérer, du point de vue syndical, des heures de travail non rémunérées parce que bénévoles en plus de son temps de travail sinon comme une remise en cause de la durée légale du travail ? Comment considérer des horaires variables ? Comment considérer des rapports non-hiérarchiques ? Comment considérer des salaires faibles en échange d’un intérêt pour son travail, d’une souplesse et d’une inventivité dans son organisation de salarié ? Si le syndicalisme salarié est sur la seule défense d’un statut et d’une protection, il est dans l’impossibilité de considérer le salariat associatif, d’autant que certains gros employeurs associatifs peuvent avoir des comportements proches de n’importe quel employeur de l’économie classique ! La syndicalisation est donc faible dans les associations, dans les petites associations à l’identique des TPE (13) comme dans l’ensemble de la vie associative. Il serait pourtant aisé de prendre en compte un indicateur permettant de questionner les rapports au travail autant que les rapports employeur / salarié : le nombre faible d’arrêt maladie des salariés des petites associations – hors congés maternité et accidents externes – (mais cette statistique n’existe pas à notre connaissance). Plus difficile, mais tout aussi important et pertinent, le plaisir de se lever pour partir travailler chaque matin : un indicateur à inventer pour des statistiques qualitatives nouvelles à prendre en compte.
Pour conclure
« Travailler dans une association : là et pas ailleurs », c’est réaliser un choix de vie par adhésion à ce que représente la vie associative dans ses objectifs multiples, son utilité sociale, ses fonctionnements démocratiques. C’est un engagement, une adhésion au projet de l’association, ses valeurs et principes, c’est, à son échelle, participer à des changements de société en s’inscrivant dans l’économie sociale et solidaire c’est-à-dire la priorité à l’humain et non à la finance et ses conséquences de rentabilité et d’immédiateté. C’est aussi savoir pour qui et pour quoi son travail, au bénéfice de qui. C’est encore un choix de travailler collectivement en privilégiant les rapports humains. C’est enfin, sans que ce soit une règle ni une obligation, et dans le contexte sociétal actuel, accepter l’échange d’une rémunération plus faible pour des rapports hiérarchiques plus souples et moins formels, une inventivité dans les rapports de pouvoir, l’organisation, le fonctionnement, les fonctions, les tâches de son travail.
Christian Lamy – Réseau des créfad
Texte publié dans la revue Efdaine n°5 de juin 2015 : https://efadine.wordpress.com/