ECC. Revenu universel selon Gaël Giraud, in Revue Etudes déc.2020.
(Présentation d’extraits de cet article dont le texte complet est disponible en commandant le numéro à la revue Etudes).
« Comme l’observe Jean-Marc Ferry1, la campagne présidentielle de 2017 n’a pas permis d’aborder correctement la question du revenu universel au sein du débat public français. L’une des raisons majeures de cet échec, à mon avis, tient à l’erreur de diagnostic qui sous-tendait la prise de position du candidat du Parti socialiste. L’introduction d’un revenu universel en France était en effet motivée par la perspective d’une disparition du travail humain, rendu obsolète par la robotisation de nos sociétés. Cette perspective semble négliger entièrement l’empreinte matérielle des machines. Pour remplir les services que nous exigeons de lui, un robot a besoin de minerais et d’énergie. Or ce sont précisément les deux denrées qui vont devenir rares dans les années à venir. Cela implique-t-il que l’utopie d’un revenu universel soit elle-même obsolète ? Nullement. Mais il faut la considérer à partir d’une autre perspective : non plus la disparition du travail mais la nécessité de garde-fous qui garantissent un travail humain décent au plus grand nombre, à contre-courant des formes déguisées d’esclavage qui refont surface aujourd’hui. »
Gaël Giraud considère que le revenu universel peut contribuer à répondre à l’explosion du chômage et à la misère sociale qui sera désormais la nôtre pour la décennie 2020. Il peut contribuer à résoudre l’énorme défi de la pauvreté dans le monde, à « contrecarrer la tentation d’abolir davantage encore le droit du travail, au motif qu’il faudrait en réduire le coût, pour in fine renouer avec des formes, non pas de robotisation du monde, mais d’esclavagisation des plus défavorisés ».
« Globalement, il faut toujours plus d’énergie et d’eau pour exploiter des métaux de plus en plus difficiles à extraire et il faut toujours plus de métaux pour produire de l’énergie…De même l’« électronisation » de nos vies, depuis une quarantaine d’années a profondément transformé notre dépendance aux minerais et aux métaux qu’ils contiennent ».
Alors que jusqu’aux années 1980, l’industrie mondiale reposait sur une trentaine de « grands métaux » (fer, aluminium, cuivre, zinc, plomb… qui continuent « de faire l’objet d’une exploitation en croissance exponentielle », aujourd’hui de « petits métaux » s’ajoutent aux grands (le gallium dans les diodes électroluminescentes, l’indium dans les écrans plats, le cobalt dans les batteries au lithium…) « de sorte qu’une soixantaine de métaux sont à présent couramment exploités. C’est le prix à payer de l’invasion de nos existences par l’électronique. Or les uns comme les autres connaîtront tôt ou tard des pics d’extraction ».
Cela amène G.Giraud à écrire : « Les contraintes écologique nous amènent donc une bifurcation d’un tout autre ordre que celle qui …est supposée accompagner la prise de pouvoir du monde par des machines intelligents : à rebours de la miniaturisation et de l’obsolescence programmée, il nous faut inventer une industrie low-tech, dont l’empreinte matérielle soit la plus faible possible, qui renonce, non à l’électricité, mais à la microélectronique partout où cela est possible… et qui s’organise autour de produits manufacturés très simples, faciles à réparer et à recycler »
« Il n’est pas inutile d’insister sur cet aspect matériel de nos existences parce qu’en moins de deux générations, leur « électronisation » a eu un puissant effet de déréalisation : beaucoup d’entre nous prennent leurs rêves numériques pour la réalité et préfèrent s’enfermer dans le déni d’un techno-optimisme sans fondement scientifique plutôt que d’interrompre le réveil éveillé où nous maintiennent nos écrans ».
« …Dans tous les cas, l’avenir n’est pas à la disparition du travail mais à son intensification. Raison pour laquelle il est plus que jamais urgent de réfléchir à ce que peut signifier un travail humain d’un point de vue anthropologique, juridique et économique ». La manière dont en France, à rebours des conclusions du rapport Borloo, nous semblons parier sur l’ubérisation de l’économie en guise de politique sociale dans les quartiers populaires où les jeunes adultes sont supposés « devenir entrepreneurs d’eux-mêmes » est un contre-exemple éloquent : face à la perspective de devenir des chauffeurs de VTC à la merci du démantèlement du droit du travail orchestré par les pouvoirs publics, les jeunes des quartiers se rebellent et servent de proie facile aux manipulations de l’islamisme politique. »
Gaël Giraud dans la suite de son article rappelle quelques caractéristiques du revenu universel. Il s’agit d’un paiement périodique sous forme monétaire qui est individualisé (et non au niveau du ménage ou du foyer fiscal) et qui n’est pas soumis à l’obligation de rechercher un travail.
Les chiffres qu’il avance ensuite se situent au niveau mondial. « En supposant un revenu minimal de 7,40 dollars par jour et puisqu’en 2018, 4,2 milliards de personnes vivaient encore en dessous de ce seuil : « Sans entrer dans le détail des calculs de parité de pouvoir d’achat …cela coûterait moins de 13000 milliards de dollars. Cette somme paraîtra peut-être considérable à certains : elle est proche du produit intérieur brut (PIB) nominal de la Chine en 2018. Pourtant une étude de l’ONG Oxfam montre que la même année, le centile des individus les plus riches de la planète a perçu un revenu annuel de 56000 milliards de dollars (soit 80% du PIB mondial). Si l’on « prélevait » seulement un quart de ce revenu, cela permettrait de verser un revenu de base de 7,40 dollars par jour (et même davantage) pour la part de l’humanité qui en est privée ».
« Certes, un tel « prélèvement » est difficile à mettre en place…Toutefois, ces chiffres nous rappellent que, contrairement à une idée reçue, le problème d’un revenu de base ne provient pas d’un » manque d’argent » mais bel et bien d’un compromis politique » »
Dans la suite de son article, G.Giraud distingue deux types de « revenu universel » l’un disons de droite qui se substituerait à tous les autres types de transferts sociaux, l’autre de gauche qui serait additionnel (et non substituable) aux transferts sociaux déjà en place. La suite de l’article fait état d’objections qui ont pu être faites au revenu universel. Par exemple, un tel revenu ne fournirait-il pas un alibi pour ne plus travailler ? L’article fait état d’expérimentations réalisées au Canada, en Inde, en Alaska. Celle du Canada, en Ontario, initiée en 2018 a été interrompue par le parti conservateur nouvellement élu. G.Giraud commente : « Les expérimentations autour d’un salaire minimum (ou de son augmentation) ont montré bien souvent le contraire de ce qui était prédit par les économistes mainstream : une augmentation générale des salaires et du nombre d’heures travaillées ainsi qu’une réduction du chômage. Certains seraient-ils effrayés à l’idée que la démonstration puisse être faite in vivo qu’un revenu de base permettrait de relancer l’emploi ? »