Ghaleb Bencheikh, président de la Fondation de l’Islam de France (FIF) : « La séparation des ordres politique et religieux est un acquis de la modernité »
Extraits de propos recueillis par Nadjia BOUZEGHRANE pour El Watan qui précisait : Nos lecteurs le connaissent pour les nombreuses sollicitations d’El Watan auxquelles il a toujours répondu positivement.
A chaque crime commis au nom de leur religion les Musulmans sont sommés de se justifier comme s’ils en partageaient la responsabilité ou en étaient complices. N’est-ce pas une situation intenable ?
Nous sommes arrivés, à vrai dire, à cette situation – sans autoflagellation aucune ni haine de soi – à cause des atermoiements et de la pusillanimité des hiérarques musulmans. Ceux-ci, au début du surgissement de la violence qui s’abattait au nom de l’islam, n’ont pas su, n’ont pas pu ou n’ont pas voulu condamner avec force et avec vigueur l’ignominie qui pervertissait leur religion et flétrissait ses préceptes. Nous ne les avons pas suffisamment entendus lorsque le terrorisme d’essence islamiste a commencé à sévir. Je pense aux terribles exactions des GIA en Algérie lors de la décennie noire, aux abus de la Jamaat islamiya en Égypte, aux crimes de Boko Haram au Nigeria, aux forfaitures d’Abou Sayaf sur l’île de Jolo aux Philippines. Les préceptes islamiques de bonté, d’amour, de miséricorde et les messages de paix et de fraternité ont été bafoués depuis longtemps et avilis par les djihadistes extrémistes sans qu’il y ait une réaction à la mesure du désastre. Cela a laissé dans l’esprit de nombreux non-musulmans, comme un soupçon de complicité tacite. Ensuite, il est vrai, devant l’horreur qui allait crescendo, ces mêmes hiérarques ont commencé à condamner les attentats en assortissant les condamnations de la fameuse expression « halte à l’amalgame », ceci n’a rien à voir avec l’islam, c’est une religion d’amour et de paix. Sauf que cela n’était pas suffisant. Parce que le spectacle affligeant de la terreur a, malheureusement, à voir avec l’islam. Ce n’est pas tout l’islam, certes et heureusement, mais une certaine compréhension fallacieuse et captieuse des sources et des référents islamiques. Les auteurs assassins revendiquent leurs crimes au nom de Dieu et au nom de la tradition islamique, textes à l’appui !
Nous sommes arrivés, à vrai dire, à cette situation – sans autoflagellation aucune ni haine de soi – à cause des atermoiements et de la pusillanimité des hiérarques musulmans. Ceux-ci, au début du surgissement de la violence qui s’abattait au nom de l’islam, n’ont pas su, n’ont pas pu ou n’ont pas voulu condamner avec force et avec vigueur l’ignominie qui pervertissait leur religion et flétrissait ses préceptes. Nous ne les avons pas suffisamment entendus lorsque le terrorisme d’essence islamiste a commencé à sévir. Je pense aux terribles exactions des GIA en Algérie lors de la décennie noire, aux abus de la Jamaat islamiya en Égypte, aux crimes de Boko Haram au Nigeria, aux forfaitures d’Abou Sayaf sur l’île de Jolo aux Philippines. Les préceptes islamiques de bonté, d’amour, de miséricorde et les messages de paix et de fraternité ont été bafoués depuis longtemps et avilis par les djihadistes extrémistes sans qu’il y ait une réaction à la mesure du désastre. Cela a laissé dans l’esprit de nombreux non-musulmans, comme un soupçon de complicité tacite. Ensuite, il est vrai, devant l’horreur qui allait crescendo, ces mêmes hiérarques ont commencé à condamner les attentats en assortissant les condamnations de la fameuse expression « halte à l’amalgame », ceci n’a rien à voir avec l’islam, c’est une religion d’amour et de paix. Sauf que cela n’était pas suffisant. Parce que le spectacle affligeant de la terreur a, malheureusement, à voir avec l’islam. Ce n’est pas tout l’islam, certes et heureusement, mais une certaine compréhension fallacieuse et captieuse des sources et des référents islamiques. Les auteurs assassins revendiquent leurs crimes au nom de Dieu et au nom de la tradition islamique, textes à l’appui !
Les facettes du fondamentalisme islamique et ses modes opératoires sont multiples. Par quel bout le combattre ?
… La riposte immédiate doit être toujours d’ordre sécuritaire et de renseignement, bien évidemment. Puis viendra le contre-discours qu’il faut opposer à celui des djihadistes extrémistes. Un contre-discours puisé dans la tradition dans sa version standard, celle qui magnifie la mansuétude, le pardon, la magnanimité, l’amour, la bonté et la miséricorde. Ensuite les réponses éducatives, culturelles et sociales doivent prendre en charge toute une jeunesse laissée à la dérive. Cette jeunesse a colmaté ses failles identitaires par le recours à la donne religieuse face à une citoyenneté qui lui est déniée. Elle s’est réfugiée dans une autre citoyenneté supranationale miroitée par les doctrinaires sermonnaires islamistes. C’est à la République de nourrir et d’instruire tous ses enfants, tous, quels qu’ils soient… Enfin, la réaction au niveau de la refondation de la pensée théologique relève d’une nécessité impérieuse. Les chantiers à entreprendre sont titanesques : ceux de la liberté de conscience, de l’égalité ontologique et juridique des êtres humains, de la désacralisation de la violence, de l’autonomisation du champ du savoir et de la connaissance par rapport à celui de la révélation et de la croyance. Enfin, il y a lieu d’émanciper le sujet humain musulman. Il croule encore sous des pesanteurs sociales terribles.
Pour ce faire quelle en est la part des institutions musulmanes de France ?
Les institutions islamiques doivent assumer leurs responsabilités. L’incurie organique qui les caractérisait a laissé la part belle à l’activisme des fondamentalistes islamistes mieux organisés et bien structurés. Il est temps de laisser place à des jeunes cadres religieux compétents, sérieux, probes et intègres. Je déplore que nous n’ayons pas vu ces trois dernières décennies des colloques d’importance ni des congrès internationaux ni des séminaires nationaux en France pour clamer haut et fort la réprobation absolue de la violence et de sa condamnation par les hiérarques musulmans ainsi qu’un travail qui dépasse le simple aggiornamento.
Comment prémunir les enfants et les jeunes musulmans de l’emprise de l’idéologie salafiste et wahabite?
Les meilleurs antidotes contre l’emprise de cette idéologie mortifère demeure toujours dans les maîtres-mots : éducation, instruction, acquisition du savoir, culture et connaissance, ouverture sur le monde et altérité confessionnelle avec une inclination pour les valeurs esthétiques. Ce sont les humanités, les belles lettres et les beaux-arts qui immuniseront cette jeunesse des méfaits du salafisme et du wahhabisme. Nous ne pouvons pas nous attendre à quelque chose de bon de la part de celui qui n’est pas sensible à la poésie ou à la musique.
A côté de cela, une préparation du citoyen musulman à l’esprit critique afin de passer par le filtre de la raison les billevesées et les fadaises que peuvent débiter certains imams autoproclamés, est fondamentale. La pensée magique, le merveilleux, le fabuleux et l’extraordinaire mélangés dans l’histoire occasionnent beaucoup de dégâts dans la psychè de la jeunesse musulmane.
…N’est-ce pas l’une des missions de la Fondation de l’islam de France, créée au lendemain des attentats de novembre 2015 et que vous présidez ?
Les missions stratégiques de la Fondation de l’Islam de France sont de dirimer les thèses fondamentalistes, de pourfendre l’idéologie wahabite et de contrecarrer la doctrine salafiste. Afin d’endiguer l’islamisme radical la FIF agit dans les domaines éducatif, culturel, social et philanthropique.
Elle donne des bourses à des étudiants en thèse de doctorat en islamologie savante. Il faut bien que cette discipline recouvre ses lettres de noblesse et devienne une discipline de prestige à l’université. La FIF aide à la formation civique des imams, des aumôniers, des prédicateurs et des cadres religieux. Elle enrichit son campus numérique Lumières d’Islam de tous ce qui a trait à la civilisation et aux cultures à travers les trois grands empires des dynasties ottomane, safavide et moghole. Elle a instauré une université populaire itinérante qui va de ville en ville pour apporter le débat afin d’exorciser les hantises, d’apprivoiser les peurs et de domestiquer les angoisses. La circulation des idées et leurs confrontations par des arguments rationnels permettent une thérapie de et par la parole. L’importance de l’éducation populaire est capitale et le débat entre musulmans et non musulmans relève d’une nécessité impérieuse. Autant qu’il soit canalisé dans un contexte serein et propice à l’échange. Des expositions et des activités culturelles et artistiques relatives au fait islamique sont initiées et exercées. Enfin, une attention particulière est portée à des jeunes gens qui voulant fuir la délinquance épousent une forme de militance. Sauf que celle-ci les fait tomber de Charybde en Scylla, alors nos les extrayons de leurs milieux hostiles pour les inscrire dans des internats afin de sanctuariser leur scolarité.
Pourquoi selon vous la laïcité heurte-t-elle les fondamentalistes musulmans qui la rejettent et la combattent violemment ?
Ils sont encore dans un registre politique éculé où l’on doit gérer les affaires de la Cité par des préceptes religieux. Nous sommes effarés de constater l’anachronisme de leur vision du monde. C’est une vision passéiste, rétrograde et obscurantiste voire attentatoire à la dignité humaine.
La séparation des ordres politique et religieux est un acquis de la modernité. C’est une conquête de l’esprit humain. Les fondamentalistes musulmans pâtissent d’une réelle indigence intellectuelle. L’arriération mentale qu’ils donnent à voir est affligeante. Ils sont encore dans une approche intégraliste comme celle qu’avait l’Eglise catholique lors des débats houleux et emportés au moment de la promulgation de la loi dite de Séparation en 1905.
Sait-on que les oulémas algériens s’étaient déplacés en métropole pour plaider auprès du conseil d’Etat l’application de la loi de Séparation ? Parce qu’ils y avaient vu l’intérêt et l’importance pour l’islam de l’affranchir de la tutelle politique…
Il est temps d’expliquer que la laïcité n’est qu’un principe juridique sans densité doctrinale. C’est un principe de liberté et de neutralité de l’Etat quant aux options métaphysiques et religieuses des administrés. L’Etat n’a pas de confession. Ce sont les citoyens qui librement choisissent d’en avoir ou non…