
La paralysie du pays manifeste un désarroi profond bien au-delà de la question des retraites. Méfiance généralisée à l’égard du pouvoir politique, à l’égard d’E.Macron notre Président. Bien sûr E.Macron n’avait recueilli que 24% des votes au premier tour des élections présidentielles, et son élection contre Marine Le Pen a été une élection par défaut. Mais il y avait quand même parmi ses électeurs beaucoup de gens qui espéraient un renouveau face à l’usure de la gauche et de la droite qui se partageaient le pouvoir depuis des décennies. Par exemple, ceux qui avaient pris au sérieux les déclarations d’E.Macron au Congrès de Versailles promettant de remédier à la fracture sociale, ont été consternés de voir avec quel mépris a été rejeté le rapport Borloo fruit d’un travail de concertation avec quelques maires et des associations, qui faisaient des propositions judicieuses. Ceux qui étaient enthousiastes à l’égard des critiques faites à la mondialisation à Davos devant les grands de ce monde, qui ont regretté que la France signe l’accord de libre – échange CETA entre l’Union Européenne et le Canada ; ceux qui voulaient croire que l’on avait un Président philosophe et que la collaboration avec Paul Ricœur prouvait le sérieux de notre jeune Président ont dû déchanter. C’est le cas de François Dosse qui avait publié un livre en septembre 2017 intitulé : « Le Philosophe et le Président, Ricœur et Macron » pour attester de la proximité d’E.Macron avec Ricœur. F.Dosse s’est récemment adressé à E.Macron en l’appelant pas son prénom et en le tutoyant « au regard de l’amitié éprouvée…tout au long de nos « années Ricœur » ». Il écrit ceci : « Dans ce livre…je soulignais à quel point les positions philosophiques de Ricœur avaient été importantes pour toi, fécondant tes propositions sur l’Europe, la laïcité, la justice sociale, la revitalisation de la démocratie politique, la mémoire nationale…J’ai eu pour toi les yeux de Chimène, émerveillé par l’étendue de tes compétences et de ton savoir-faire ». Puis F.Dosse fait allusion aux déclarations d’E.Macron sur la nécessité d’ouvrir un débat sur l’immigration et sur l’orientation prise par son gouvernement. Il écrit : « La stigmatisation de la population immigrée comme source des problèmes que rencontre la société française, qui se situe aux antipodes des positions éthiques et politiques de Ricœur dont tu t’es réclamé, constitue pour moi un moment de rupture majeur ».
Il faut se rendre à l’évidence, Emmanuel Macron est bien le président des riches, le « grand manipulateur »[1] dans la ligne du néo-libéralisme.
Nos amis qui croient encore qu’E.Macron est le meilleur rempart contre Marine le Pen devraient déchanter, car le risque est bien de voir le mécontentement généralisé amener au pouvoir le Rassemblement National. Le « ni gauche, ni droite » de notre Président doit faire place à un autre slogan : ni Macron, ni Marine Le Pen ; ni néo-libéralisme, ni repli identitaire.
Mais l’ECCAP ne désespère pas. Elle ose espérer un changement d’envergure et veut apporter très modestement sa part avec les ambitions suivantes.
Elle se situe bien au niveau politique en espérant contribuer à une évolution de l’opinion, à un accord majoritaire pour des changements radicaux d’orientation ; sans pour autant entrer dans le jeu de la recherche du pouvoir, qui n’est pas de son ressort. Après avoir explicité dans notre Avant-Propos les dangers à affronter, et sans prétendre définir une nouvelle doctrine en « isme », il s’agit de contribuer à sortir du marasme et de la désespérance, car un autre horizon est possible. De multiples cheminements en cours donnent des raisons d’espérer.
Martin Luther King déclarait en 1967 : « Il est grand temps de passer d’une société orientée vers les choses à une société orientée vers les êtres ». D’autres diront qu’au lieu de se centrer sur les biens il faut se centrer sur les liens. Imaginons ce que serait une politique et un gouvernement qui, au lieu de mettre au centre du pouvoir le Ministère des finances et de l’économie, y mettrait le Ministère de la culture. Ce que serait une société qui mettrait l’éducation au cœur en allant à l’encontre d’un capitalisme qui « vit en épuisant les réserves anthropologiques constituées pendant les millénaires précédents. De même qu’il vit en épuisant les réserves naturelles »[2] .
Parler d’encyclopédie peut sembler bien prétentieux, mais il s’agit de souligner la multiplicité des sujets à aborder pour changer de cap. Nicolas Hulot qui s’adressait récemment à la Convention Collective pour le Climat souhaitait la bienvenue dans le monde de la complexité aux 150 citoyens, rassemblés pour proposer des solutions.
L’ECCAP veut constituer une base de données et de connaissances auxquelles les citoyens et tous ceux qui s’occupent d’information ou d’éducation populaire pourraient se référer. Il s’agit aussi de faire état des innombrables réalisations qui contribuent dès maintenant à « faire société autrement »[3].
Cela suppose d’étendre le nombre de contributeurs spécialistes d’un sujet qui l’exposent de manière pédagogique en quelques pages. Bien des personnes ont déjà rédigé des articles ou se sont engagés à le faire dans les prochains mois, dans un esprit d’éducation civique et citoyenne.
Il s’agit aussi de renvoyer à des sites spécialisés qui font un excellent travail, que ce soit par exemple sur les inégalités ou sur les questions environnementales. A cet égard, l’encyclopédie peut jouer un rôle de carrefour en permettant à des personnes ou des groupes, spécialisés dans une réflexion ou une action dans un domaine particulier, de prendre conscience que c’est un ensemble qui permettra un changement d’importance.
L’ECCAP devra préciser bientôt comment ouvrir des débats. Ceux-ci n’auront de sens que s’il y a accord préalable entre les uns et les autres sur la nécessité d’un changement de cap. Mais il y a place pour des débats entre personnes ou organisations qui partagent une visée commune. Rien ne serait plus inquiétant que la prétention de détenir une vérité à imposer. [4]
Peut-on espérer que la France (et l’Europe ?) joue un rôle de phare pour orienter autrement notre planète, alors même que les grands de ce monde nous amènent plutôt à être terriblement inquiets, qu’il s’agisse de Trump, de Poutine, ou de Xi-Jin-Ping ? Quitte à terminer sur un excès d’optimisme, citons ce qu’écrivait Bruno Viard dans un article de l’ECCAP : « De quelque façon qu’on les formule, les trois termes de la triade républicaine sont les guides qui doivent inspirer la transition à laquelle l’humanité est sommée de procéder à l’heure de la mondialisation »[5].
Guy Roustang
[1] Marc Endeweld. Le grand manipulateur. Les réseaux secrets de Macron. Ed.Stock 2019.
[2] Cité par Alain Supiot dans sa leçon de clôture au Collège de France « Le travail n’est pas une marchandise ». juillet 2019.
[3] « Faire société autrement » est le titre du numéro 28 de la Nouvelle revue de Psychosociologie.
[4] Voir à ce propos la contribution d’Eugène Enriquez dans l’eccap intitulée « Psychosociologie et changement de cap ».
[5] Voir les articles de Bruno Viard dans l’eccap.