Convention citoyenne pour le climat


Le 4 octobre s’est ouverte au Conseil économique, social et environnemental la Convention citoyenne pour le climat, composée de 150 citoyens tirés au sort. En six longs week-ends, cette assemblée est censée exprimer et mettre sous la forme juridique adéquate les propositions permettant de réduire de 40 % les émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030. Le gouvernement s’est engagé à les soumettre au Parlement ou à l’administration.

Certains commentateurs ne se sont pas privés de rappeler qu’il n’est nul besoin d’une telle grand-messe pour savoir quelles mesures il faudrait prendre. A l’appui de leurs dires, deux rapports très clairs, publiés une quinzaine de jours auparavant, l’un par le Conseil des prélèvements obligatoires (« La fiscalité environnementale au défi de l’urgence climatique »), l’autre par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) (« Taxer la consommation d’énergie 2019 ») convergent dans la dénonciation de l’insuffisance de la taxe carbone, qu’il s’agisse de la France ou de la plupart des autres grands pays. La solution semble donc claire : elle consiste à mettre en place ou à augmenter fortement les taxes sur les combustibles fossiles. Une politique dont on se souvient pourtant qu’elle a provoqué, en France, deux crises sociales majeures, celle des « bonnets rouges » et celle des « gilets jaunes », qui s’expliquent dans les deux cas par un mauvais calibrage et surtout par l’absence d’accompagnement social des mesures.

L’intervention des citoyens se révèle donc bien utile : il sera(it) en effet beaucoup plus difficile de remettre en cause des propositions portées par des citoyens représentatifs de la population française. Rappelons que les spécialistes indiquent que cet échantillon a été particulièrement bien construit, même si subsiste évidemment un biais majeur : les personnes les plus concernées par ces questions ont accepté plus facilement de participer et les 150 citoyens se sentent donc sans doute plus impliqués que la moyenne de la population. Il n’est donc pas exclu que la convention citoyenne accouche d’une augmentation de la taxe carbone, mais cette fois accompagnée des mesures sociales appropriées.

Comme si on allait ainsi effacer l’erreur fatale commise au moment de la hausse du prix des carburants – aveugle à la question sociale et manifestement ignorante du fait que les taxes sur les combustibles fossiles pèsent proportionnellement plus sur les ménages modestes. Comme si on allait tout reprendre depuis le début en commençant, comme devraient toujours le faire les décideurs publics, « par le bas », c’est-à-dire en partant de l’expérience des personnes, réceptacle final de toutes les contradictions des politiques publiques, et non « d’en haut », de trop loin, de Bercy, de Matignon ou de l’Elysée.

L’intervention des citoyens est d’autant plus utile que la taxe carbone n’est évidemment pas la seule solution à mettre en œuvre. Dès le premier week-end, nos 150 représentants l’ont prouvé, en montrant une remarquable maîtrise des sujets et en transformant une séance classique de questions-réponses adressées aux experts en une longue et audacieuse série de prises de parole ancrées dans l’expérience. S’est alors déployée, dans sa simplicité et dans sa radicalité, une liste de questions purement rhétoriques sans nul doute destinées au gouvernement mais aussi à la société tout entière : ne faudrait-il pas supprimer la publicité, développer le ferroutage, contraindre les entreprises polluantes, s’attaquer aux lobbys et aux intérêts financiers, renoncer à la voiture électrique, prendre en considération l’empreinte carbone (qui inclut les émissions de gaz à effet de serre des produits importés) et pas seulement les émissions de gaz à effet de serre dont l’évolution laisse croire que la France fait des progrès ?

Un budget de guerre
Et l’on se prend alors à rêver que tout soit vraiment mis sur la table durant les cinq week-ends restants. Qu’au côté des tenants de la taxe carbone, les défenseurs de la post-croissance et de la décroissance, des nouveaux indicateurs de richesse, de la sobriété heureuse, de la déprise technologique, ou les lanceurs d’alerte qui dénoncent le déploiement incessant de nouveaux temples du consumérisme comme les centres commerciaux des gares ou Europacity… viennent échanger avec ces citoyens, véritables experts de la vie quotidienne. Et que ces derniers parviennent à imposer leurs vues afin qu’en 2020 soit élaboré, au lieu du budget actuel qui fait si peu de place à l’écologie et au social, à la relance de l’investissement et de l’emploi, un projet de loi de finances 2021 de combat contre le péril climatique.

Un budget de guerre donc, qui – outre les appuis nécessaires aux changements de comportement et de pratique radicaux et à l’anticipation des restructurations – acterait le lancement d’un investissement public supplémentaire massif (au moins 20 milliards d’euros par an) dans la transition écologique – et particulièrement dans la rénovation thermique des passoires énergétiques, chantier majeur susceptible de redessiner nos villes et de réconcilier l’écologie et le social.

Ces citoyens parviendront-ils à convaincre le président de la République ? Lors du débat organisé par ce dernier le 18 mars avec les « intellectuels », je lui avais demandé s’il était prêt à mettre en œuvre un tel grand plan d’investissement. Sa réponse avait été nette : « Est-ce que la solution est dans un grand plan d’investissement ? J’ai envie de dire, on l’a essayé, ça a été la réponse française de Nicolas Sarkozy à la crise de 2008-2010. Quand je regarde les pays européens, la France est le seul à avoir fait un grand plan d’investissement. Je regarde dix ans après, on a plus de chômage que ceux qui ne l’ont pas fait, et on a plus de déficit public. » Ajoutant, « Les Français ont-ils été plus heureux ? Non. » Espérons que, là où les « intellectuels » ne sont pas parvenus à se faire entendre, les citoyens réussiront.

Dominique Méda est professeure de sociologie, directrice de l’Institut de recherche interdisciplinaire en sciences sociales (Dauphine/PSL).
 
Publié dans Le Monde  le 19 octobre 2019
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