n°= 2 Quel nouveau cap pour la démocratie ? 28/03//2019


 
 View online version
Quel nouveau cap pour la démocratie ?

La crise de la démocratie représentative est telle que cela  justifie pleinement que soit retenu le thème «Démocratie et Citoyenneté » pour le Grand Débat National. Il est possible que cette consultation, en canalisant les énergies, et en offrant un exutoire aux tensions sociales du moment facilite la sortie de cette période de hautes turbulences. Cependant, l’on peut douter de sa fécondité en matière de régénération de notre système politique.Plus est mise en question la démocratie représentative, plus s’affirme une interprétation dominante. C’est celle d’une inadaptation de nos institutions à ce que devrait être la démocratie participative moderne, compte tenu des attentes de la population, et des progrès des technologies de communication. L’absence d’évolution des institutions et des pratiques est alors imputée au manque de responsabilité –  voire d’intégrité – du personnel politique, qui trouverait dans ce conservatisme le moyen de préserver toutes sortes d’avantages matériels et symboliques dont il jouirait. D’un tel constat naît la défiance, dont attestent de multiples sondages, et qui  est analysée dans l’eccap par Jean-François Hutin Le désamour entre les français et leurs dirigeants politiques, que l’on peut lire dans la rubrique démocratie.  Cette défiance  dégénère en hostilité, voire en haine, comme l’illustrent les agressions, verbales et parfois physiques, dont ont été victimes des personnalités politiques à l’occasion des manifestations récentes.
De ces analyses découlent des pistes de réformes, à partir d’une abondance d’ouvrages diffusant des propositions reprises de façon simplifiée par les partis politiques, et de façon souvent caricaturée par des mouvements comme celui des gilets jaunes. Elles font souvent référence à des précédents  historiques (comme l’Athènes antique), ou à des exemples plus proches (la Suisse référendaire) qui suggèrent des évolutions vers des formes de démocratie directe.C’est au fond ce type de représentations que sollicite la consultation du Grand Débat National (condition probablement  pensée comme indispensable à sa bonne réception par l’opinion). Les propositions qui encadrent (et orientent) le questionnaire se présentent comme des réponses à ce diagnostic sommaire : réduction du nombre de parlementaires, mise en cause des cumuls dans le temps, introduction d’une dose de proportionnelle, augmentation du champ référendaire, introduction du tirage au sort pour certaines instances, etc, avant de s’orienter vers la question de la laïcité et de l’intégration, qui s’inscrivent dans une acception large de la question de la citoyenneté, et débordent de la question de la démocratie, stricto sensu.C
es approches dominantes reposent en fait sur un postulat : celui du désir de participation des masses à la vie politique. Les personnes engagées dans la vie politique ou associative ont tendance à projeter leurs valeurs et leurs aspirations dans l’ensemble de la population. Malheureusement, les taux d’abstention à toutes les élections, l’insuffisante mobilisation de la population pour les expériences de démocratie locale, ou des études comme celle de Brice Teinturier [1] démontrent qu’il n’en est rien, et dévoilent l’inconfortable réalité :  la crise de la démocratie est d’abord une crise de la citoyenneté.
En matière de démocratie participative, les propositions les plus fréquentes, exprimées notamment par Pierre Rosanvallon prennent leur parti de la défiance[2]. L’objectif recherché est que la démocratie s’exerce en continu, et de multiples formes de consultation des citoyens, et de leur association aux décisions sont imaginées. Mais beaucoup de ces propositions, cédant au populisme ambiant, tournent au fond autour de l’idée d’une surveillance serrée des représentants, sommés de rendre des comptes en permanence, et comptent sur les nouvelles technologies du numériques qui donneront à l’avenir la possibilité de les traquer en continu, jusque dans leurs activités les plus intimes.Faut-il se résigner à des réformes se bornant à faciliter l’exercice de cette défiance ?
Peut-on dans cette perspective parler de « changement de cap » ? Il nous semble plus ambitieux de s’inscrire dans le temps long, et de réfléchir à la façon de réhabiliter la démocratie représentative, et de restaurer la confiance dans le personnel politique. Montesquieu disait : « lorsqu’une bonne chose a des inconvénients, il vaut mieux se débarrasser des inconvénients que de la chose ». Si ce système s’est imposé dans l’histoire, si, par exemple, le vote a été préféré au tirage au sort (une des idées très en vogue dans l’air du temps, mais typique de cette société de défiance), c’est assurément par ses avantages, et sa meilleure adéquation aux sociétés complexes. C’est incontestablement au niveau local que la démocratie participative est la plus prometteuse.  C’est à ce niveau que la mise en œuvre de nouvelles formules est a priori pertinente. On peut lire dans l’eccap, une description du fonctionnement de la Démocratie locale à Saillans, faite par Fernand Karagiannis, conseiller municipal, et l’interview de Jo Spiegel, sur celle de Kingersheim.
Pourtant, ce type d’expériences se heurte à deux limites, d’ailleurs intrinsèquement liées : celle de leur improbable généralisation à l’échelle nationale, et celle de la mobilisation de l’ensemble de la population concernée. L’insuffisance de la plupart des analyses de la crise de la démocratie est qu’elles enferment leurs raisonnements dans la sphère politique. Or, entre l’image que la plupart de nos contemporains ont de la politique et sa réalité, il y a le miroir déformant du complexe médiatico-numérique que constituent les GAFAM[3] les producteurs de séries (Netflix) et les chaînes d’information continue, qui lui se situe dans la sphère économique, sollicitant le consommateur. Plus généralement, Dominique Rousseau affirme « Le système libéral n’a pas davantage besoin de citoyens, il a besoin de travailleurs et de consommateurs. »[4] . C’est à travers les écrans que les individus ordinaires voient le monde, et c’est par les technologies de ces entreprises que s’opère l’essentiel de leur communication, s’y enferment même, en tombant dans le piège de l’addiction.  En même temps se forgent des façons de voir, de penser, de juger, de réagir qui sont celles de cet univers économique, et qui ne correspondent pas du tout à ce que requiert l’exercice de la citoyenneté.
C’est à cela qu’il faut s’attaquer ; il faut remettre en cause en ce sens le système de formation (l’école), en revalorisant les disciplines qui développent chez l’élève le sens critique et l’autonomie du jugement, et le système d’information, en le libérant des puissances d’argent qui ont intérêt au maintien de ces nouvelles formes d’aliénation, et de cet asservissement aux nouvelles technologies. Julia Cagé fait des propositions en ce sens [5] . L’eccap reproduit dans la rubrique Démocratie son interview, parue dans Libération, le 7 septembre 2018, à propos de son livre  Le prix de la démocratie (Ed. Fayard). Dans la rubrique Démocratie de l’eccap.fr, J.Testart montre « Comment des citoyens peuvent décider du bien commun ». Son optimisme  sur les capacités de changement de tout un chacun, mis dans certaines conditions, est confirmé par l’expérience de J.C.Ameisen.André Koulberg dans l’eccap, (La démocratie libérale, modèle insurpassable ?) montre que la réflexion sur la démocratie traverse l’histoire ; bien loin d’être achevé, ce régime est au contraire en réinvention permanente, et doit être l’objet d’une réflexion constante.

Maurice Merchier

[1] « plus rien à faire, plus rien à foutre » (Robert Laffont , février 2017)
[2] par exemple, voir La contre-démocratie. La politique à l’âge de la défiance Poche – 10 avril 2014
[3] Google, Amazon, facebook, Apple, Microsoft
[4] Le Monde 23 février 2019[5] dans son ouvrage  Sauver les médias. Capitalisme, financement participatif et démocratie (Le Seuil, 5 février 2015).


Laisser un commentaire

Blog at WordPress.com.