Liberté dans l’église catholique


Une religion est une institution qui relie des croyants. Elle n’est donc pas légitime quand elle prétend imposer quoi que ce soit aux personnes qui ne sont pas ses membres. Elle peut discuter, débattre, échanger sur tous les sujets qui l’intéressent et concernent l’ensemble de la société, comme tout groupe de pensée ou d’action : cela ne lui confère aucun droit d’imposer. Il y a donc toute liberté d’adhérer ou pas à une religion, de la pratiquer ou pas, d’en sortir si on le veut.

Dans ce domaine, la religion catholique (et chrétienne si l’on remonte avant la Réforme ou le schisme orthodoxe) n’a pas été exemplaire! Avec l’avènement de Constantin et surtout de Théodose s’est instauré le mélange de la religion et de la société civile, la première dominant la seconde pendant des siècles, les dirigeants des divers pays ne se sont jamais totalement affranchis de cette tutelle jusqu’à la Révolution française. Jusqu’au dix-neuvième siècle la liberté de croire a été bafouée par l’Eglise. Autres temps, autres mœurs… On peut ainsi expliquer, mais expliquer n’est pas approuver, ni absoudre. Lorsque le pape excommunie au XIème siècle l’empereur germanique Henri IV (ce qui peut être légitime, il exclue un individu qui s’est mis, par ses actes, hors de la religion), il délie ses sujets de toute obligation envers lui. Henri doit bien se rendre à Canossa pour ne pas perdre son pouvoir. Il s’agit tout simplement d’une atteinte fondamentale à la liberté ainsi qu’à l’instrumentalisation du peuple pour obliger l’empereur : qu’en est-il de la liberté des croyants ? Ceci est un exemple, on peut le répéter pas mal de fois. L’Inquisition ne se contentait pas de procès internes à l’Eglise qui devaient mener à une exclusion, elle remettait les condamnés “au bras séculier”, et on sait ce que cela signifiait. On peut toujours dire qu’elle ne condamnait pas toujours, que ses jugements étaient assez souvent équilibrés, c’est dans son essence même que le mal était entré, bafouant la liberté des chrétiens. Ajoutons les condamnations célèbres : Jan Hus, Giordano Bruno ont payé de leur vie, Copernic attendant ses derniers jours pour oser publier, Galilée devant se rétracter…jusqu’à Jeanne d’Arc – n’oublions pas qu’elle a subi un procès religieux instruit par un évêque et le représentant de l’Inquisiteur – brûlée parce que revenant sur l’abjuration extorquée.

Il a fallu attendre le 19ème siècle pour que l’Eglise perde le pouvoir d’attenter ainsi à la liberté des non-croyants et qu’elle fasse alors le travail de réflexion qui la mènera, au bout de deux siècles environ…, au concept de liberté religieuse ! Ce qui ne l’empêche toujours pas de peser par tous les moyens sur la société civile pour imposer ses vues. Derniers avatars chez nous, l’appui direct de la hiérarchie aux opposants au mariage pour tous, à la PMA, à la GPA. Encore une fois, elle est dans son rôle lorsqu’elle discute, débat, pas quand elle prétend imposer. Encore en France ses interventions sont relativement limitées, allons en Pologne, Slovaquie, Roumanie (là ce sont les orthodoxes qui pèsent), pays où l’Eglise a repris ses positions de pouvoir…et de richesses, le respect de la liberté religieuse, c’est-à-dire de la liberté des non-croyants de ne pas se soumettre aux lois de l’Eglise, est bien souvent bafoué.
Il est juste cependant de dire aussi que l’Eglise a fait de grands pas dans le bon sens, qu’elle respecte de plus en plus la liberté des sociétés, que les pays d’Europe Centrale sont un avatar qui permet justement de voir les progrès ailleurs. On peut espérer qu’elle progressera sur cette voie, ce sont les “Eglises évangéliques” qui semblent prendre le relais, et vu leur développement on peut encore être inquiets pour l’avenir.

Reste la question, autrement difficile, de la liberté des croyants. Le croyant, membre de l’Eglise catholique aujourd’hui, voit-il sa liberté respectée ? Qu’en est-il de la liberté à l’intérieur de l’Eglise ? c’est-à-dire de la liberté du croyant qui désire rester membre de l’Eglise ? Quelle est la légitimité du pouvoir de l’Eglise institutionnelle à l’égard de ses membres ?
Jésus-Christ a appelé les hommes à la foi en lui, pas à une religion. Il a même donné l’exemple de quelqu’un qui n’a eu de cesse de lutter contre les dirigeants de sa propre religion. Par là il semble qu’il a ouvert le droit à la critique, pour le moins ! A partir du moment où des hommes ont une foi partagée, il est naturel qu’ils se regroupent, s’organisent, afin de célébrer cette foi, l’approfondir, la transmettre, voire la proclamer (“allez à travers le monde proclamer la venue du Royaume de Dieu”). Ceci n’est pas en cause, et cela implique l’organisation de responsables, d’un certain ordre, etc. Seulement il ne faut pas oublier que cette organisation n’est pas la foi, elle est une institution humaine toujours critiquable, amendable, réformable, voire à détruire s’il le faut ! L’Eglise n’est pas inutile car la foi n’est pas seulement une affaire individuelle et Jésus-Christ a appelé les hommes à vivre en communion de l’amour de Dieu. Mais qu’est-ce que cette Eglise ? On touche là à la question du temps et de l’éternité1. L’Eglise a deux faces : une temporelle, institution comme nous la connaissons, la voyons, et une face qui est la communauté des hommes sauvée par le Christ, qui est dans l’éternité. La légitimité de l’Eglise visible s’appuie sur la réalité de l’Eglise éternelle. Et si l’on en croit Jésus-Christ, il a appelé tous les hommes à le suivre dans la plus totale liberté. Cette liberté là ne peut être muselée légitimement par l’Eglise visible, quelles que soient les arguties.

En fait, par nature, l’Eglise terrestre trahit constamment sa mission. Elle participe à ce qu’on appelle le monde pécheur, c’est-à-dire séparé irrémédiablement de Dieu (on retrouve là le péché originel de St Augustin), elle doit constamment se réformer alors qu’elle a tendance à monopoliser la Parole de Dieu, à prétendre la posséder et à l’imposer. Le plus grand péché n’est-il pas de se mettre à la place de Dieu (même en se disant son vicaire) ?

Pour les chrétiens qui ont été catéchisés avant le Concile (et peut-être les autres !) de combien de commandements, d’injonctions, d’interdits les ont abreuvés ? Quelle injustice n’ont-ils pas subis ? On a parlé à juste titre de la “névrose chrétienne”, l’institution Eglise est responsable de combien de névroses ? de souffrances ? L’absence de liberté dans l’Eglise n’est pas seulement une question théorique, elle a eu de graves conséquences, elle a été l’occasion d’injustices graves qui ont atteint l’ensemble des chrétiens. La morale sexuelle est un exemple criant qui a été souvent dénoncé, mais il y a bien d’autres domaines que l’on pourrait évoquer.

Cela signifie-t-il qu’il n’y a plus de règles possibles ? non pas ! Nous sommes dans l’Histoire, nous sommes de la terre, avec toutes les contingences que l’on sait, avec les lourdeurs. Nous ne sommes pas des anges, il nous faut passer par les lourdeurs qui nous caractérisent, et parmi elles des règles d’organisation ou autres. Il y a aussi les articles de foi : il nous faut un accord minimal sur les conséquences de notre foi dans le Christ. Mais avec une liberté entière, qui peut nous mener à quitter notre Eglise, terrestre, si cette liberté s’oppose trop frontalement aux autres. La hiérarchie a toute légitimité pour dire ce qu’elle pense juste (tout en sachant qu’elle ne possède pas la Vérité), dans les cas extrêmes la communauté peut exclure du groupe (tout regroupement impose des frontières), mais si les choses fonctionnent correctement c’est celui qui ne peut plus accepter certaines contraintes ou affirmations qui se retire.

Il semble que l’Eglise s’appuie sur l’idée que “le Royaume de Dieu est parmi nous” pour légiférer, elle s’estime dépositaire de la Parole et responsable du Royaume. Elle se permet alors de rentrer dans l’intimité des hommes pour débusquer (il y a toujours de quoi débusquer) ce qui ne serait pas conforme au Royaume. Le pardon des péchés est devenu une enquête du plus mauvais aloi, oubliant que le péché est chose bien plus grave que nos pauvres turpitudes !

La Parole de Dieu est libre, personne ne la possède, les hommes ne peuvent que témoigner de ce qu’ils en comprennent. Quant-au Royaume, il est au milieu de nous, mais pas de ce monde ! Dès qu’il est question de foi, nous nous trouvons dans cet instant, indéfinissable, à la limite du temps et de l’éternité, de notre Histoire et de l’eschatologie, cet instant suspendu entre la mort du Christ et sa résurrection, mort dans l’Histoire, résurrection dans l’éternité. Nous construisons le Royaume à travers toute notre vie, nos actions, nos engagements, etc. mais il est de l’ordre de l’éternité. Il y a une seule Loi sur terre, celle de l’amour, seul commandement du Christ. St Augustin l’a très bien résumé (mais l’a-t-il tellement appliqué aux autres ? c’est un autre débat !) : “aime et fais ce que tu voudras”.
Marc Durand, 21 octobre 2017

1 – Eternité ne signifie pas pour nous temps infini mais “hors du temps”, hors de l’Histoire. Elle est fondamentalement liée au concept d’eschatologie.

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