Cet article a été écrit à la suite de la lecture du livre Commun de Pierre Dardot et Christian Laval, Ed. La découverte 2014
Les divers travaux sur la notion de commun explorent la possibilité de nous orienter vers un autre avenir que celui de nos sociétés de marché. Dans ces sociétés, le marché outrepasse sa fonction d’organisation des activités productives, car l’argent qui s’insinue dans toutes les relations sociales, contamine toutes les valeurs
Le « commun » est-il susceptible de nous faire échapper à la marchandisation croissante et de rénover nos démocraties grâce à une démocratie participative qui serait un heureux complément de la démocratie représentative ? C’est bien l’ambition affichée par le livre Commun qui a pour sous-titre « Essai sur la révolution au XXIesiècle ».
Le commun est un principe et non une chose, ou une qualité propre à une chose ou à un ensemble de choses. Un principe est ce qui vient en premier et qui fonde tout le reste. «
La revue de la Ligue des Droits de l’Homme
Le livre de Gaël Giraud, L’illusion financière, paru en 2012, avant donc la publication du livre Commun, plaide aussi pour une société de biens communs. Cela prouve que cette approche n’est pas limitée aux marges de la société mais peut concerner ce qui est au cœur de son fonctionnement, c’est-à-dire la finance. La crise de 2007-2008 a eu des conséquences catastrophiques pour bien des ménages aux Etats-Unis et dans le monde. Faute d’une régulation suffisamment rigoureuse du système financier par les pouvoirs politiques, de nouvelles crises sont devant nous. G. Giraud rappelle que la monnaie a notamment deux qualités, la première est la liquidité qui autorise à acheter n’importe quoi et n’importe quand, la seconde, qui s’identifie au crédit, permet d’emprunter à l’avance sur la foi d’une promesse de richesse ultérieure. Dans une société où les échanges marchands sont la norme, il est essentiel que tout un chacun puisse bénéficier de la liquidité et de l’accès au crédit. Or la dérégulation des marchés financiers depuis les années Thatcher-Reagan a permis « une appropriation privée de la liquidité en Europe ». Autrement dit, certains ont pu échapper et même tirer bénéfice de la crise de 2007-2008, alors que d’autres étaient ruinés à la suite des krachs boursiers. De même, nous dit G. Giraud, « on peut relire la construction européenne comme une vaste tentative pour privatiser l’accès au crédit : d’abord en décidant de l’indépendance de la banque centrale, qui permet de la tenir à l’écart des autorités politiques en charge du bien public ; ensuite en laissant le pouvoir de création monétaire aux banques commerciales. » Pour éviter à l’avenir le retour de crises majeures, c’est « vers une société de biens communs » qu’il faut donc s’orienter en refusant de faire comme si la monnaie était une marchandise[6] et en la soumettant à une régulation politique au nom de l’intérêt général. La monnaie n’est pas par nature un bien commun, la monnaie ne peut devenir un commun que par une décision politique.
Parler d’agir commun, c’est parler de l’action de citoyens qui instituent le commun et le prennent en charge dans la durée. Cela amène à refuser aussi bien l’appropriation indue que la bureaucratisation fréquente dans les administrations (aussi bien au niveau des collectivités territoriales que le d’Etat national ou de l’Europe) souvent submergées par une réglementation très lourde et opaque pour le citoyen. Autant dire que le conflit privé-public qui a si longtemps structuré les débats politiques est dépassé.
L’agir commun suppose que les citoyens puissent consacrer une partie de leur temps à la gestion des affaires communes et qu’ils soient, dès l’école, encouragés au dialogue et à la prise de responsabilité.
Le livre
Parmi les nombreuses questions qui mériteraient débat, citons en deux à propos des auteurs du livre Commun. Dans sa recension du livre, Fabrice Flipo écrit : « En héritiers de la tradition marxiste, ils s’engagent essentiellement du point de vue du producteur, et non de celui du consommateur, des finalités, qui se trouvent régulièrement renvoyées au « spiritualisme », à une dimension théologique. Pourtant le spirituel c’est d’abord ce que Hegel appelait la vie de l’esprit, la culture »[7]. Contestable aussi ce point de vue exprimé par les auteurs de Commun : « Aucune appartenance – l’ethnie, la nation ou l’humanité, etc. – ne peut constituer en elle-même le fondement de l’obligation politique. Il en résulte également que cette obligation n’a aucun caractère sacré ou religieux, ce qui implique que toute source transcendante, toute autorité extérieure à l’activité doivent être récusées. L’obligation politique procède entièrement de l’agir commun, elle tire toute sa force de l’engagement pratique liant tous ceux qui ont élaboré ensemble des règles de leur activité, elle ne vaut que relativement aux coparticipants d’une activité ».
Guy Roustang
[1] Bien d’autres livres concernant la notion de « commun » seraient cependant à citer. Par exemple : P. M., Voisinages et Communs, éd. L’éclat, 2016 ; de même : Le retour des communs. La crise de l’idéologie propriétaire, sous la direction de Benjamin Coriat, éd. Les liens qui libèrent, 2015.
[2] Michael J. Sandel. Ce que l’argent ne saurait acheter, Préface de Jean-Pierre Dupuy. Ed. du Seuil. Point, 2014.
[3] Voir l’article Régulation financière et pantouflage.
[4] Gaël Giraud, Illusion financière, Pourquoi les chrétiens ne peuvent pas se taire. Ed. de l’Atelier, sept. 2012, p. 107.
[5] Ligue des droits de l’Homme, n°176, décembre 2016.
[6] Karl Polanyi, dans son livre La grande transformation (traduit en français en 1983, éd. Gallimard, préfacé par Louis Dumont), montrait comment la prétention du libéralisme économique à faire comme si le travail, la terre et la monnaie étaient des marchandises, avaient eu cette terrible conséquence : « la société était devenue sur toute la ligne un appendice du marché » page 111.
[7] Analyse critique réalisée par Fabrice Flipo : Du communisme aux communs, Revue du MAUSS permanente, 21 juin 2014 [en ligne]. http://www.journaldumauss.net/?Du-communisme-aux-communs